Déniché un vieux acticle de journal... Je le reproduis complètement ici, mais vous pouvez aussi le lire sur le site de la BanQ, version "scannée".
La Presse Plus, samedi 27 août 1983, page 13.
Auteur : Simone Piuze
Lire en ligne, BanQ :
http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2290183Le chemin libératoire du nudisme-plein air
Certains trouvent dans le mysticisme zen une formulation satisfaisante pour leur évasion d'une réalité survoltée, stressante, à la limite de ce qu'un être humain peut supporter, pour une sorte de retour aux sources également, pour se retrouver peut-être enfin dépouillé de tout désir, vivant l'instant.
D'autres trouvent un peu la même chose dans le nudisme-plein air. Cette thérapie sauvage produirait, selon ses adeptes, des effets des plus bénéfiques.
Le nudisme existe depuis plusieurs années au Québec. Impossible toutefois de connaître le moment exact de son implantation ici puisque, bien avant la création du «Paradis Terrestre», en 72 (le plus important club de nudisme québécois situé à Chertsey), des groupuscules surgissaient ici et là, vases clos à toute intrusion, marginaux pointés du doigt si découverts, puisque nudité et sexualité sont étroitement associés dans l'esprit des gens issus d'une civilisation judéo-chrétienne. Pendant longtemps, cette doctrine prônant la vie au grand air dans un état de complète nudité a été tantôt ridiculisée, tantôt jugée sévèrement. Encore aujourd'hui, l'association nudité-sexualité suffit à en éloigner plusieurs de l'expérience naturiste. Avouer être allé passer quelques jours dans un camp naturiste — cette dernière appellation, moins crue, se révèle mieux acceptée — suscite chez l'interlocuteur un petit sourire en coin... La nudité fait encore sourire; ou rougir; à l'extrême, provoque l'insurrection.
Réactions fort compréhensibles puisque se déshabiller en public a tout de suite une connotation équivoque, comme si on ne pouvait être nu que dans sa salle de bain ou lors d'échanges amoureux, ou chez son médecin. Et encore: il arrive fréquemment qu'on prenne son bain derrière une porte fermée à double tour.
Mais que se passe-t-il, au juste, lorsque deux cents personnes se retrouvent nues, sous le soleil, dans un décor naturel? Voyeurisme, orgies, exhibitionnisme? Rien de tout cela. Et comment se sent-on la première fois qu'on ose tenter l'expérience, après avoir enfreint le tabou — car il s'agit véritablement d'un tabou profondément ancré même dans l'esprit de gens dits non conformistes ou libérés?
J'ai voulu en avoir le coeur net et je suis allée sur place, c'est-à-dire dans le décor féerique du Paradis Terrestre, à Chertsey, vivre l'expérience, à l'instar des 25 000 personnes qui, chaque été, s'y rendent passer un, deux, trois ou 15 jours, avant de faire le grand saut et de devenir membre (300 familles québécoises sont membres du P.-T).
J'y ai éprouvé, comme ceux qui m'accompagnaient, un sentiment de libération.
J'y ai découvert aussi que le maillot de bain représente le triomphe de l'esthétisme et de la moralité sur l'animalité, bien qu'il laisse tout pressentir sans dévoiler l'essentiel. Et, comme le dit si bien Dominique Picard, chercheuse au laboratoire de psychologie sociale à l'Université de Paris, « l'étroit triangle de tissu mime une soumission hypocrite à la loi, à la limite ultime de la transgression. Il est la dernière butée du regard, ce tremplin où le phantasme peut prendre son envol... Tout l'art du maillot consiste à déshabiller le corps en rhabillant, respectant en cela les notions d'élégance et de séduction avec tout ce qu'elles supposent de normes et de signes codifiés que la mode organise suivant des formes toujours changeantes et toujours identiques».
Accepter de déambuler nu, c'est se dépouiller de l'esclavage de la mode, des classes sociales, c'est refuser de se «distinguer». C'est devenir «ordinaire». Comme tout le monde. Ça fait descendre de son piédestal et ça fait respirer!
Car comment être «distingué» lorsque la nudité ne vous laisse pour seuls avantages que ceux que vous a légués la nature?
Autour de la piscine du Paradis Terrestre, dans le sauna, sur les chemins de terre qui conduisent aux tentes, aux cinquante chalets, aux 150 roulottes et à la douzaine de motels, des femmes, des hommes, des vieillards et des enfants circulent librement, ayant en commun au moins une chose et qui me paraît essentielle: une attitude extrêmement détendue et paisible. Ici, pas de cris, de vulgarité, d'insultes ou de grossièretés à l'égard des femmes, pas de regards qui s'arrêtent avec insistance sur les corps nus, pas de flirt ou d'attouchements — même entre personnes accouplées — pas d'attitudes provocantes ou exhibitionnistes. On est ici pour se détendre, retrouver peut-être l'état sécurisant et apaisant du «paradis» utérin, alors que la société ne nous avait pas encore appris qu'il faut cacher certaines parties de son corps.
Benoît, directeur et pilier du club naturiste de Chertsey, précise qu'il y a des lois à respecter au Paradis Terrestre, lois votées afin de protéger tous ceux qui, y compris les enfants, qui viennent ici afin de se sentir mieux dans leur peau, plus naturels, plus décontractés. «Se tenir par la main est toléré, dit-il. Un point c'est tout.» Voilà sans doute pourquoi les voyeurs ou exhibitionnistes sont tout de suite repérés et pourchassés. Voilà sans doute pourquoi aussi seuls les couples, les familles ou les individus accompagnant un couple peuvent venir y séjourner.
Point n'est besoin d'être jeune et beau pour se laisser tenter par le naturisme! J'ai vu, se baignant ou se détendant au soleil, une femme bossue, un homme unijambiste blaguant avec son fils, une femme squelettique recevant les jets d'eau bienfaisants, de splendides cascades, petites chutes naturelles où j'ai moi-même passé des heures, bercée par la musique de l'eau qui se frayait un chemin parmi les roches... J'ai vu également quelques obèses non honteuses de leur excès de chair, plusieurs personnes âgées devisant tranquillement, recevant elles aussi sur leurs corps ridés les chauds rayons du soleil, cet astre qui luit pour tous. Qu'ils étaient beaux, tous ces êtres acceptant leur condition, en compagnie d'autres plus avantagés par la nature! «Le naturisme va beaucoup plus loin que le simple fait de se retrouver nu en public, dit Jean F., psychologue. Être dépouillé de tout vêtement, c'est aussi tenter de se dépouiller de ses inhibitions ou frustrations, c'est transgresser la loi pour un mieux-ètre, c'est dire à tous: «Me voilà tel que je suis, tel que j'ai été créé. Prenez-moi comme je suis. Je suis sexué, tout comme vous l'êtes, et je n'ai aucune honte de cette réalité.»
De son côté, Caroline, huit ans, s'exprime ainsi, entre deux plongées dans la piscine (et je n'ai rien changé à son discours): «On est plus libéré, nu... On est mieux qu'habillé parce qu'on n'a pas de vêtements qui nous serrent!... Ça me dérange pas de voir des gens se promener tout nus. De toute façon, avant de venir ici, j'avais déjà vu ma mère et mon père nus! Et puis c'est plus naturel d'être nu, hein?»
Eric, dix ans, ajoutera: «Moi, je suis venu ici pour la première fois aujourd'hui. J'avoue que je pensais que ça serait gênant de montrer mon zizi. Puis, à l'entrée du camp, j'ai vu un petit garçon qui se promenait tout nu: il avait l'air bien. Je me suis dit: «Si tout le monde est nu, je vais être gêné d'être habillé!... J'ai caché mon zizi pendant deux secondes, puis je suis allé retrouver les autres enfants qui plongeaient dans la piscine. Je n'ai plus pensé à rien! Maintenant, je trouve qu'on est bien mieux nu! En maillot, on est coincé!»
Chantal, son mari et leurs trois enfants, eux, passent l'été au Club l'Eden, situé à Ville des Laurentides. «Le naturisme, dit-elle, a été pour moi une révélation! Je ne comprends pas que si peu de gens s'y intéressent! Ici, pas de barrière sociale, de parade de vêtements, d'exhibitionnisme de corps ou de personnalités!